Les Sables - Les Açores: étape 1

Publié le par Lucas

IMGP0813.JPGLa bouée de dégagement est dans le sillage, les bateaux spectateurs font un à un demi-tour. Une vague plus téméraire que les autres vient me rappeler qu’anticiper l’enfilage du cirée est un des fondamentaux de la navigation en Mini. Bah, mon pantalon de terrien ne séchera plus, est-ce un problème ?

 

Le jour décline, les premiers sont sur l’horizon et je remonte paresseusement les concurrents qui ont pris un départ aussi tonitruant que moi. Etrange malaise. Je suis en course sur un bateau de rêves à destination d’une île que je sais être la banlieue du paradis et pourtant j’ai le sentiment d’être en dehors de cette histoire. Dormir. En fait, je suis complètement crevé de la semaine de préparation passée aux Sable d’Olonne. Pour rentrer dans la course, il faut d’abord évacuer les tensions des derniers jours.

 

Les conditions idéales que prophétisait le bulletin météo sont au rendez-vous. La mer et le vent sont doux dans ce Golfe de Gascogne qui sait se montrer parfois hargneux. Pour remonter les batteries, c’est parfait. C’est aussi dans ce type de temps que les écarts se creusent entre ceux qui sont « dessus » et ceux qui font aller. Je le sais, je paye.

 

Passé la Galice, le large est là. Dans la lumière de fin de journée que filtre un grain au saccharose (la couleur sans le goût), ONG Conseil file à fond vers l’ouest. Je suis décalé au nord de la flotte, pas trop loin de la route directe. Mon retard sur les premiers est déjà assez important et il va augmenter dans les jours qui viennent de façon presque mécanique (« ça part par devant », comme on dit : ceux qui sont devant touchent en premier un vent plus favorable). Il faut réfléchir à la meilleure façon de limiter la casse.

 

En Mini, les moyens de communication sont rudimentaires. Une radio VHF permet de joindre les bateaux alentours, et un récepteur BLU amène une fois par jour le classement et les prévisions météo lors de la grande messe de 11h04 TU appelée « vacation ». Le cérémonial est immuable : à 10h45, je mets le bateau sous pilote et ajuste éventuellement les réglages des voiles pour rendre la conduite plus facile. A 11H00, je sorts mon cahier de son sac plastic et vérifie que le stylo écrit. Ensuite j’allume le poste BLU et patiente religieusement dans le cri des parasites. A 11h04 précise, la voix lointaine et comme saturée d’hélium sort du poste. J’ai 20 secondes pour triturer les réglages afin de m’assurer que c’est bien Denis. Ensuite, notre cher directeur de course balance un morceau de musique avariée dont lui seul a le secret (ce n’est pas tout-à-fait vrai : il y a souvent un message caché qui illustre la situation du jour dans la partition burlesque). Puis vient la météo. Concentration. Il faut noter aussi vite que l’on entend tout en maintenant un équilibre précaire dans le bateau brinqueballé. Denis commence en français puis répète en anglais, avant d’annoncer le classement. Je note en évacuant toute émotion, focalisé entièrement sur ce que la voix parasitée égraine.

 

Bon, il y a peut-être un intérêt à rester au nord de la flotte pour revenir sur la fin de l’étape. Vu ma situation, plus de 100 milles de retard sur les premiers, il n’y a pas grand risque à tenter le coup. A 400 milles de Horta, les prévisions météorologiques se confirment : nous longeons le sud d’un anticyclone. Il s’agit de rester dans une bande où le vent tient bon sans s’écarter de la route (trop au nord : plus de vent - trop au sud : route trop longue).

 

A l’approche de l’archipel des Açores, je suis revenu sur le peloton des bons protos à la faveur d’une route plus directe et de conditions particulièrement favorables au mini ONG Conseil. Le passage dans les îles pour atteindre Horta peut être piégeuse tant leur relief volcanique (plus de 2000 mètres pour Pico) peut générer de dévent. Pour cette dernière nuit en mer, il s’agit d’être particulièrement attentif. Je longe la cote nord de Tercera et l’enroule à bonne distance à la faveur de la rotation du vent qu’elle provoque.

 

Au petit matin, le spectacle des îles dans la lumière du levant est un vrai bonheur : il y a du vert, des odeurs de végétation, des insectes. Après une petite semaine au large, je suis très sensible à ces signes de la terre. Soudain, la radio crépite : il y a des concurrents dans le coin ! La discussion s’engage avec Paulo (Région Nord Pas-de-Calais, n°265) et Véro (De l’espace pour la mer, n°429). On se raconte les derniers jours et l’émerveillement d’être ici. « Mais, au fait, tu es où ? » Silence… Hésitation… On finit par se situer et même s’apercevoir. Et je suis devant ! Donc j’ai tout à perdre. Alors avec le peu de jus qu’il me reste, je m’active pour ne pas perdre un mètre sur mes poursuivants. Leur jeu est d’attaquer en prenant soin de ne pas aller là où je ralentis. La situation est assez délicate et la guerre psychologique bat sont plein sur les ondes.

 

Vers midi, la ligne d’arrivée est en vue, Paulo et Véro sont toujours derrière. Ouf, c’est bon, 8ème de l’étape ! On s’attend sur le ponton, ça chambre, ça rigole : il y a du bonheur à être là, à Horta, après une traversée magnifique, ensemble dans notre solitude.

Publié dans Courses

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